L’amendement de Monsieur le Député Mariani fait étrangement écho à la circulaire de 1995 du Ministre de l’Intérieur qui, voulant un exemple " répressif " sur la consommation de drogues, ciblait les Raves et les Soirées Techno. Cette circulaire suggérait que toute personne écoutant de la musique électronique ou travaillant dans ce secteur était un consommateur ou un vendeur de drogue potentiel et que ce commerce prenait sa source dans les Raves. Par conséquent, il était impératif d’en interdire le déroulement.
Cependant, en ce début de siècle, l’axe de la sécurité a quelque peu pris le pas sur la lutte contre la drogue, mais c’est toujours le monde de la Culture Electronique qui reste visé et doit de nouveau servir d’exemple.
Il semble qu’un bref rappel soit nécessaire pour comprendre pleinement le phénomène " techno ". En 1995, deux styles de soirées apparaissent hors des sentiers battus des discothèques et des clubs, les Raves et les Free-Party :
Les Raves, soirées organisées par des associations, des sociétés ou des personnes physiques, sont produites dans des lieux originaux ou extravagants dans une logique de profit avec une entrée payante, une équipe chargée de la sécurité, une communication spécifique, une buvette et des artistes français ou étrangers.
Certes, les organisateurs « pêchent » de nombreuses fois, oubliant les demandes d’autorisations à la Préfecture ou à la Mairie ou ne déclarant pas les artistes etc.
Mais les pouvoirs publics, eux aussi, « pêchent », refusant d’accorder aux organisateurs ces précieuses autorisations ou les retirant quelques heures avant la Soirée.
L’arrivée de la circulaire 95 favorise et amplifie cette démarche, avec comme probable stratégie sous-jacente, la volonté d’étrangler financièrement ce milieu. Par ailleurs, les forces de l’ordre n’interviennent plus pour interdire ou faire évacuer les lieux. Ils se cantonnent à rester postés sur la route donnant accès à la Rave et fouillent les véhicules, provoquant ainsi des bouchons et détournant, involontairement, le public vers d’autres soirées comme les free-party.
La conséquence de cette " stratégie " adoptée par les pouvoirs publics aboutit à la mise en difficulté financière de plusieurs personnes et la cessation de paiement de nombreuses structures, ainsi que l’arrêt de la professionnalisation d’une grande partie de ces jeunes artistes et organisateurs de l’époque (200 organisateurs de " raves " en 1995, environ 10 en 2001).
Les free-party sont des soirées gratuites qui, en 1995, sont encore peu répandues. Cependant une partie des raveurs, ne pouvant plus accéder aux soirées (raves) qui leur étaient dédiées, se dirige vers les free-party, très souvent organisées en opposition et à proximité de la rave " officielle ", récupérant ainsi son public. À cette époque, les forces de l’ordre ne se préoccupent pas des free-party qui se développent dès lors sans inquiétude majeure. Les free-party sont des soirées, avec un fort potentiel créatif non négligeable, organisées par des personnes anti-conformistes qui ne désirent pas se structurer (associations, sociétés). De ce fait, ils sont difficilement identifiables et peu répréhensibles. Même si les questions d’ordre médical sont gérées par des organismes tels que Médecins du Monde, les questions de sécurité sont quasi-inexistantes dans ces soirées qui peuvent durer plusieurs jours. Il existe toutefois une forme de commerce dans ces free-party généré par la vente de disques, boissons, T-Shirts etc.
L’article 21 du Projet de Loi " Sécurité au quotidien " permet aux free-party de bénéficier d’une campagne de presse nationale au moment même où, avec les beaux jours, elles redémarrent leur activité et pullulent. Cette sur-médiatisation peut déclencher une déferlante de jeunes en soif de nouvelles expériences.
La circulaire de 1995 démontre que la répression peut avoir des effets non souhaitables. L’amendement de M. le député Mariani n’aura-t-il pas les mêmes conséquences ?
En 1995, la répression sur les raves a accentué le développement des Free-party. Celles-ci, plus ou moins repérables grâce à leur communication sur les sites Internet et les infolines, mais aussi par le volume sonore et l’encombrement des routes, restent malgré tout un vecteur privilégié quant à la diffusion de l’information par différents organismes sur les risques de la consommation de drogue, sur le sida ou sur la sécurité. Cette présence permet tout de même d’intervenir rapidement en cas de problème. Si l’amendement est voté, ces groupes ne dérangeront certes plus les riverains, mais continueront à se réunir ailleurs, de façon clandestine, bien plus discrète. Dans ce cas, ni les pouvoirs publics, ni les associations, comme Médecin du Monde, ne pourront intervenir et les conséquences, dès lors, en seront certainement beaucoup plus graves et dommageables.
Monsieur le Député Mariani estime que la saisie du matériel de sonorisation est la solution à ces problèmes. Les "organisateurs" de free-party, plus communément appelés tribu ou sound-system, sont souvent, mais pas toujours, propriétaires de leur matériel de sonorisation. Cependant, nous pouvons aisément présager qu’ils ne le seront plus si l’amendement est accepté en l’état. Quelle personne prendra dès lors le risque de se faire saisir son propre matériel ?
- Faudra-t-il alors que les loueurs de matériel de sonorisation questionnent tous leurs clients ?
- Comment feront-ils la différence entre une soirée privée (anniversaire, mariage etc) et une free- party ?
- Quelles preuves auront-ils de la bonne foi de leurs clients ?.
- L’amendement, tel qu’il est proposé aujourd’hui, ne risque-t-il pas de donner lieu à des " délits de faciès " et de constituer une atteinte aux libertés individuelles et d’entreprise, si le loueur refuse la location ?
Selon cet amendement, une soirée dansante sur "un territoire privé " réunissant 100 personnes avec de la musique amplifiée ne peut-elle pas, dès lors, être considérée comme " une manifestation non autorisée de grande envergure " qui présente "un danger pour la tranquillité des riverains " et dont un " agent de la police judiciaire peut ordonner la saisie du matériel de sonorisation" ?
Un amendement précipité et répressif serait préjudiciable et ne servirait pour l’instant qu’à mettre le feu aux poudres à un milieu particulièrement sensible.
Nous pensons que cet amendement doit être retiré et qu’une mission interministérielle doit être nommée pour travailler sur un futur cadre légal dont la réduction des risques, la sécurité et l’aide à la professionnalisation en seraient les priorités. Cette mission interministérielle reprendrait le flambeau de la M.I.L.D.T. (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie), dont le précieux travail contribue efficacement à apporter un éclairage objectif sur ce milieu.
Nous suggérons qu’un poste de délégué soit dès à présent créé dans chaque région. Celui-ci aurait pour mission de conseiller et d’orienter les free-party sur des lieux plus adaptés à ce type de manifestation sans nuire à autrui. Un numéro vert national pourrait être simultanément mis en place comme lien direct avec ce délégué.
Nous pensons que cette volonté d’entreprendre doit être accompagnée d’une aide à la formation sur l’organisation évènementielle.
De plus, nous estimons que de nombreux problèmes, sanitaires, de sécurité, nuisances, pourraient être résolus par la réhabilitation de friches industrielles qui seraient entièrement dédiées à ce type de soirée. C’est déjà le cas ailleurs en Europe, en Suisse par exemple.
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